Pour éviter les gaz très toxiques, le jeune homme de 22 ans mord dans un chiffon mouillé. « Je n'ai pas assez d'argent pour me payer un masque à gaz », précise-t-il.
Un lieu unique au monde
Bambang est l'un des 350 porteurs qui travaillent sur le volcan actif de l'extrême-est de l'île de Java, un lieu unique au monde où « se récolte » le soufre utilisé pour raffiner le sucre et fabriquer des médicaments ou des allumettes. « Ici, rien n'a changé depuis des décennies. Rien n'est mécanisé. Les hommes font tout à main nue », explique Suharsono, 55 ans dont 35 sur le Kawah Ijen, qui supervise les opérations.
Pour Bambang et ses collègues, le parcours du combattant débute au fond du cratère, sur la rive d'un grand lac vert turquoise, considéré comme le plus acide au monde. Au milieu des vapeurs corrosives, ils extraient le soufre liquide qui s'écoule de tuyaux en fonte à plus de 100 degrés. Au contact de l'air, il refroidit, se cristallise et prend sa couleur jaune canari. Les blocs sont ensuite chargés dans deux paniers d'osier reliés par une palanche en bambou que le porteur tentera d'équilibrer afin de répartir la charge, comprise entre 60 et 100 kg. Car il lui faut prévenir toute chute qui pourrait être mortelle, le long des quatre kilomètres de l'étroit sentier de montagne qui le mène au dépôt.
« C'est un boulot extrêmement dur, physique. Certains soirs, j'ai les épaules en compote », témoigne Jailami, 41 ans. Comme la plupart des porteurs, il mesure moins de
1,65 m et pèse une soixantaine de kilos, tout en muscles. « Certains visiteurs nous disent que c'est l'un des pires métiers du monde. Pas pour moi », ajoute ce père de famille.
Car « je suis tout simplement heureux de l'avoir. Dans mon village, il n'y avait pas d'autre opportunité ».
Les porteurs sont payés 600 roupies (environ 5 centimes d'euro) le kilo, ce qui leur permet de gagner entre 70 000 et 80 000 roupies par jour à raison de deux allers-retours.
« Un bon salaire pour nous, trois fois supérieur à la culture du riz », se félicite Bambang.
La santé n'est pas la priorité
Dans ces conditions, la santé n'est pas la priorité des porteurs dont les quintes de toux et les dents jaunies témoignent des ravages provoqués par l'inhalation à fortes doses de dioxyde de soufre. Plus qu'une éruption de lave, ils craignent la menace que représente l'éclatement, dans le lac, de grosses bulles de gaz d'acide sulfurique et chlorhydrique. Plusieurs en sont morts depuis l'ouverture de la mine il y a quatre décennies.
13 à 14 tonnes de soufre par jour
Chaque jour, de 13 à 14 tonnes de soufre sont descendues du Kawah Ijen qui culmine à 2 386 m. Au dépôt, les blocs sont concassés pour être envoyés dans une usine à une vingtaine
de kilomètres du volcan.
Accessible uniquement par une route défoncée qui traverse une forêt luxuriante, le Kawah Ijen n'attire que quelque milliers de touristes par an. « Les Français sont les plus
nombreux, surtout depuis que Nicolas Hulot a filmé notre travail » pour l'émission Ushuaïa, indique Suharsono.
Le Kawah Ijen illustre le rôle primordial joué par les volcans en Indonésie, le pays qui en compte le plus grand nombre en activité. S'ils apportent parfois la mort et la dévastation, ils
offrent aussi une terre extrêmement fertile aux paysans et des richesses minérales encore peu exploitées, à l'image de la géothermie.